Le nouvel empire des ›kami‹ (eBook)
435 Seiten
De Gruyter (Verlag)
978-3-11-153420-6 (ISBN)
How does shinto has taken part into the Japanese conquest of the Manchurian frontier?
Modern shinto is often seen as a unified ritual system based on shrines which are considered either as places embodying 'State shinto', or as popular places of worship. This point of view is even more emphasized in the case of 'overseas shrines' erected during the Japanese expansion in Asia. The first purpose of this book is to show that these two dimensions are complementary and take part in the imperial movement in Manchuria during the first half of the 20th century. Contrarily to previous studies (for example Shimizu 2022 and Nakajima 2010) that usually focus on shrines, it focuses on the cases of three shinto leaders involved in the building process of Japanese Manchuria: Matsuyama Teizo (1878-1947), Deguchi Onisaburo (1871-1948) and Kakei Katsuhiko (1872-1961). These three cases allow us to shed light on three different ways of appropriating Manchurian space, enabling us to understand how such leaders are in the meantime driven by, and driving forces behind, the diffusion of shinto in particular, but also the imperial process in general, in these territories stretching from the Liaodong peninsula to Inner Mongolia.
Introduction
Matsuyama Teizō 松山珵三 (1878–1947), Deguchi Onisaburō 出口王仁三郎 (1871–1948) et Kakei Katsuhiko 筧克彦 (1872–1961) ont une chose en commun : ils sont tous les trois des leaders shintō 神道, c’est-à-dire des spécialistes du système religieux japonais centré sur le culte des kami 神 (divinités japonaises). Leaders puisqu’ils sont des individus charismatiques dont les pensées et les pratiques s’inscrivent dans un rapport actif au monde et sont à l’origine de mouvements réunissant des disciples « porteurs d’idéologie »1. Mais ces trois individus ont autre chose en commun : en effet, le premier participe en 1907 à l’érection du sanctuaire ossuaire de Baiyushan (Hakugyokusan nōkotsushi 白玉山納骨祠) puis fonde le sanctuaire de Dalian (Dairen jinja 大連神社), deux des premiers et plus importants lieux de culte shintō de la péninsule du Liaodong ; le second lève en 1924 une armée de mercenaires et se lance depuis Moukden 奉天 (Fengtian) à la conquête d’Ourga, la capitale mongole, afin d’unifier spirituellement le monde ; le troisième donne en 1944 des cours au palais impérial de Xinjing 新京, la capitale du Mandchoukouo 満洲国, afin d’y implanter le shintō en tant que culte d’État. Cette « chose en commun » est un espace. Espace dans le sens d’une étendue géographique, d’un territoire circonscrit par la toponymie et arpenté par les hommes, mais aussi dans le sens d’un terrain imaginaire objet de projections subjectives des acteurs sociaux partageant un même idéal national. Cet espace, je l’appellerai « Mandchourie japonaise », terme qui regroupe l’étendue aux frontières mouvantes allant de la péninsule du Liaodong à la Mongolie Intérieure et qui est au centre des ambitions impérialistes du Japon.
Ces trois leaders constitueront le prisme à travers lequel mettre en lumière le lien qui unit la structuration du shintō moderne et la construction de la Mandchourie japonaise. Il s’agira donc d’étudier les rapports dynamiques qu’entretiennent un système religieux particulier et un processus impérialiste. Il sera dès lors possible de placer le shintō à la croisée de l’idéologie impériale et de la religiosité populaire, en dépassant l’apparente aporie qui sépare ces deux versants. Le shintō moderne est en effet les deux à la fois, il s’imbrique de fait dans la logique impériale, tout autant qu’il la déborde, voire lui résiste2.
Le shintō entre singulier et pluriel, entre modernité et authenticité
Les études sur le shintō peuvent grossièrement être divisées en trois blocs : celui qui considère le shintō en tant que système religieux ancien ; celui qui en fait un système élaboré par les élites bouddhistes médiévales ; celui, enfin, qui le considère comme une invention du Japon moderne3. L’un des tournants majeurs des recherches sur le shintō est dû au médiéviste Kuroda Toshio (1926–1993). Il est en effet le premier à remettre en cause l’idée selon laquelle le shintō existe depuis l’antiquité. Selon lui, il s’agit d’une invention majoritairement moderne, qui puise ses sources dans les exégèses médiévales, et dont l’appellation a été appliquée rétroactivement à un système cultuel qui n’existait que dans le cadre englobant du bouddhisme4. Cette thèse est actuellement défendue par Mark Teeuwen, qui désigne le shintō comme un concept utopique porté par le Japon moderne5. Dans A New History of Shintō, coécrit avec John Breen, il dépeint un shintō constitué de rites, de mythes et de lieux de culte, mais dépourvu de doctrine, et ne mentionne pas les éléments du shintō qui sous-tendent l’idéologie impériale à partir de la fin du xixe siècle. Les auteurs ambitionnent ainsi de ne pas imposer cette « catégorie moderne » aux périodes prémodernes, écueil des autres tentatives de lectures historiques6. L’ouvrage se révèle en conséquence peu informatif quant au shintō moderne qui se retrouve, en creux, mis au ban du fait de sa non-authenticité.
Il est pourtant possible d’inscrire le shintō moderne dans une histoire générale. Helen Hardacre avance ainsi que le shintō regroupe des doctrines, des institutions, des rituels et une vie communale fondés sur le culte des kami ; elle en fait une histoire dans le temps long à travers le prisme de l’articulation entre le natif et l’étranger d’une part, entre le privé et le public de l’autre, dont les racines se trouvent dans la première structuration des rites effectuée à partir du viiie siècle sous la tutelle du Jingikan (département des Affaires divines)7. Klaus Antoni montre quant à lui qu’une autre cohérence anime ce système religieux depuis les rites du Jingikan jusqu’au shintō d’État moderne : le lien qui unit le culte des kami à la sphère politique, et plus particulièrement à l’institution impériale8. Le principe d’invention ne s’oppose d’ailleurs pas à une lecture historique de longue durée. Inoue Hiroshi, qui reconnaît l’apport décisif de la thèse de Teeuwen, montre combien le shintō est le produit complexe de trois grands moments d’invention comprenant la structuration des sanctuaires durant la période ancienne, l’essor des théories combinatoires médiévales et la formation des discours et du culte d’État modernes9. Il tente ainsi de réunir les thèses déconstructionnistes et une perspective historique plus linéaire, approche qui n’évite pas l’écueil de limiter le processus d’invention à trois moments, lorsqu’envisager un processus dynamique oblige à reconnaître qu’il est en réalité en perpétuelle construction. C’est bien entendu le cas du shintō dont il est question ici.
Cette généalogie d’un shintō en tant que système religieux cohérent à travers l’histoire n’empêche par ailleurs nullement de le considérer dans toute sa pluralité. En effet, le shintō est protéiforme, résultat des influences exogènes mouvantes du bouddhisme, du confucianisme et de la pensée chinoise, pris entre les rites et mythes officiels et les pratiques religieuses populaires. J’envisagerai donc le shintō moderne de manière plurielle, c’est-à-dire aussi bien le « shintō des sanctuaires » (jinja shintō 神社神道) que les doctrines et les pratiques qui débordent ce dernier, par exemple celles des nouveaux mouvements religieux (shinshūkyō 新宗教)10. Une telle approche est nécessaire afin de mettre en lumière l’articulation entre le shintō et le processus de modernisation de la société japonaise.
François Macé a bien montré à ce propos que le shintō joue un rôle de « passeur de modernité » à travers la constitution d’une « religion sécularisée » caractéristique des États modernes qui, malgré son postulat archaïsant de « retour aux origines », accomplit un vaste travail de destruction de la tradition religieuse préexistante11. Un postulat similaire anime le travail de Jason Ananda Josephson lorsqu’il évoque un « shintō séculier » qui se construit en perspective de pratiques et discours nouvellement qualifiés de « superstitieux »12. Shimazono Susumu a en outre prouvé le rôle joué par les pratiques « magico-religieuses » dans la modernisation du Japon. Selon lui, cet aspect permet de nuancer la lecture wébérienne d’une modernité se bâtissant sur une sécularisation qui abolit l’aspect magique de la religion au profit de l’idée d’une double structure dissociant le religieux suivant le modèle de la séparation des sphères publique et privée, assignant un culte d’État « laïc » à la première et des mouvements « religieux » à la seconde13. D’après lui, ces deux versants se rejoignent en outre dans une dynamique totalitaire caractérisée par le déploiement d’un shintō d’État « par le haut » et d’un autre « par le bas »14.
La catégorie du « shintō d’État » (kokka shintō 国家神道) reste cependant problématique. Depuis la reprise de ce terme utilisé par les autorités américaines pour désigner l’idéologie du Japon en guerre par Murakami Shigeyoshi15 à la suite de Daniel C. Holtom16, de nombreux chercheurs ont remis en cause son utilisation17. Sakamoto Koremaru18, Nitta Hitoshi19 et Suga Kōji20 dénoncent ainsi une typologie ne pouvant que conduire à l’amalgame puisqu’elle en vient à englober indistinctement les mythes, les rites, les sanctuaires, le système éducatif et l’idéologie impériale. J’adopterai dans le présent travail une définition faisant du shintō d’État un vaste dispositif21 regroupant les discours et les pratiques religieuses qui soutiennent l’exercice du gouvernement impérial, donc l’intersection entre religieux et politique qui sous-tend le « système impérial » (tennōsei 天皇制) et représente, comme le formule Sheldon...
| Erscheint lt. Verlag | 30.6.2025 |
|---|---|
| Zusatzinfo | 31 b/w ill., 10 b/w tbl. |
| Sprache | französisch |
| Themenwelt | Geisteswissenschaften ► Geschichte ► Regional- / Ländergeschichte |
| Geisteswissenschaften ► Religion / Theologie | |
| Schlagworte | Imperialismus • Imperial Japan • Japan • Japanese Manchuria • Mandschurei • Shintō |
| ISBN-10 | 3-11-153420-0 / 3111534200 |
| ISBN-13 | 978-3-11-153420-6 / 9783111534206 |
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Größe: 5,2 MB
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